Premier Chapitre: Lucas
Un ouragan.
C’est ce qui vint à l’esprit de Lucas devant la crânerie de l’inconnue qui
s’était interposée entre son père et lui.
“Essaie de le frapper une seule fois encore et je te dénonce !” hurla
cette tornade en furie, faisant sursauter Lucas lui‑même dont la main était
appuyée sur sa joue rouge gonflée par la gifle qu’il venait de recevoir.
L’homme eut un rire sonore face à une menace aussi ridicule.
Cette sonorité rauque et si mordante fit frissonner l’échine de Lucas, le
poussant à s’abriter lâchement derrière le dos plus haut de sa sauveuse ;
apparemment, celle‑ci ne semblait pas le moins du monde effrayée par l’attitude
faussement amusée de son père.
Cependant Lucas ne connaissait que trop bien son père et il savait ce qui
allait suivre après ce ricanement digne d’un baryton, à plus forte raison après
de telles menaces à peines voilées.
Dans un élan de courage il saisit le sac à dos de sa sauveuse, s’efforçant
de l’entraîner au loin avant que son père sorte de ses gonds et lève la main
sur elle ou, pis encore, qu’il emploie la ceinture de ses pantalons.
“Fais bien attention à ce que tu dis morveuse”, la prévint l’homme,
redevenu subitement sérieux tout en s’approchant.
De nouveau, la fillette le brava de sa petite voix tendre mais en même
temps forte, déterminée à ne pas se laisser impressionner par ce
parasite : “C’est à toi de bien faire attention à ce que tu fais ou je
vais le dire à ma mère et elle t’enverra tenir compagnie en prison à tous ces
parents violents qui battent leurs enfants.”
“Qu’est‑ce que tu racontes ?”, s’emporta l’homme en se penchant vers
la fillette, laquelle fit la grimace devant son haleine chargée d’alcool.
Puis arriva le soupir de son père. Ce soupir que Lucas ne connaissait que
trop bien : ce sifflement vibrant et tendu qui précédait un geste violent
contre ce qui se trouvait dans les parages.
D’un coup d’œil furtif il scruta le visage fier et parfait de cette
fillette qui n’avait pas bougé d’un pouce, continuant à le protéger et à
l’abriter derrière ses épaules qui ployaient légèrement sous le poids du
cartable chargé de livres.
Ses yeux s’arrêtèrent sur ses joues roses et si parfaites, sur sa petite
bouche en forme de cœur qui ne portait nulle cicatrice, aucune trace de
violence.
Elle avait des traits un peu étranges, d’après lui, mais en même temps
curieux et il souhaita pouvoir mieux la dévisager mais la respiration
essoufflée et tremblante de son père eut le dessus.
Dissimulant sa peur et les plaintes de douleur qui allaient échapper,
incontrôlables, de sa bouche, il prit son courage à deux mains et, avec une
force dont il ne se serait pas cru capable, il parvint à pousser de côté sa
sauveuse juste à temps avant que la main de son père ne frappe sans pitié les
joues de la fillette.
“Laisse‑la tranquille !”, s’écria le petit garçon dans un cri de
désespoir. Il savait qu’il ne pouvait rien faire contre son père mais il se
jura à lui‑même qu’il ferait l’impossible pour protéger cette innocente qui
avait commis l’erreur d’affronter le puissant et irascible Darren Scott.
Le saisissant par le collet son père se fâcha : “Tu n’as pas d’ordre à
me donner, compris ? Tu n’es qu’un gamin stupide qui fera la même fin que
ta ratée de mère !”
Quelques mois s’étaient écoulés depuis le jour où il avait découvert sa
mère endormie dans la baignoire.
Surpris initialement de trouver sa mère tout habillée dans la baignoire, la
chose avait pris une tout autre tournure lorsqu’était arrivé son père.
Même à présent il avait du mal à remettre de l’ordre dans ses souvenirs. Il
se remémorait par bribes les exclamations de douleur et de colère de son père
pendant qu’il sortait sa femme de l’eau, et de la domestique Rosalinda qui
pleurait et criait que cette maison était maudite tandis qu’elle appelait une
ambulance.
Puis tout était devenu flou jusqu’aux funérailles de sa mère.
Il ne se souvenait pas s’il avait pleuré mais se rappelait que le soir‑même,
de retour du cimetière, son père avait bu plus qu’à l’accoutumée et avait
commencé à l’invectiver en disant qu’il n’était qu’un raté comme sa mère, lâche
au point d’en arriver au suicide, le laissant seul pour s’occuper d’un fils
dont il n’avait jamais voulu ; un fils qui ne pouvait être qu’un bâtard eu
égard au passé scabreux et dépravé de cette vipère qu’il avait épousée dix ans
auparavant.
La nuit‑même, enfermé dans sa chambre et caché sous les couvertures, il
avait commencé à trembler et appeler sa mère dans l’espoir vain qu’elle
accourût à son secours.
Malheureusement son rêve ne s’était pas réalisé tout comme, du reste, cela
ne s’était jamais produit du vivant de sa mère, et il ne lui restait plus qu’à
pleurer, jusqu’à en ressentir des douleurs au ventre et à la tête.
En cet instant les mots de son père le frappèrent avec la même violence que
cette nuit‑là.
Il se mordit les lèvres pour ne pas pleurer mais, à la fin les larmes,
s’écoulèrent abondamment.
“Ne lui fais de mal papa, je t’en prie”, le supplia‑t‑il en sanglotant et
dissimulant son visage derrière la manche de son veston pour se cacher de cette
fillette qui était plus courageuse que lui.
“Mon fils qui chiale pour une fille ! C’est nouveau ! Tu n’es
qu’une lavette. Tu sais quoi ? Tu vas rentrer tout seul à la maison, ça
t’apprendra à me désobéir et à t’opposer à moi !” décréta son père qui
tourna les talons et se dirigea vers sa voiture, d’un pas mal assuré à cause
des consommations qu’il avait ingurgitées au cours l’après‑midi.
Effrayé à l’idée de rentrer tout seul à la maison, Lucas tenta de
l’arrêter : “Attends‑moi papa”. Mais son père était déjà arrivé à la
portière et, sans le daigner d’un regard, monta à bord de la voiture et partit,
laissant son fils âgé de neuf ans, tremblant et en larmes sur le bas‑côté de la
route.
“Ne t’inquiète pas. Ma maman va te raccompagner chez toi en voiture”,
s’efforça de l’apaiser la fillette qui, tout en restant à l’écart, avait
observé toute la scène.
La douceur et la gentillesse de sa voix réussirent à apaiser les
souffrances de Lucas qui cessa de pleurer.
Il sentit la main chaude et douce de la fillette qui, sans un mot, prit la
sienne, froide et tremblante.
La vue encore embuée par les larmes il se laissa entraîner vers la fontaine
de la cour de récréation déserte de l’école.
Il la vit extraire de son tablier rose un mouchoir Hello Kitty et le
tremper sous le jet d’eau de la petite fontaine.
Puis, avec une délicatesse qui lui était inconnue, il sentit qu’elle lui
passait le tissu humide et frais sur les joues et les yeux.
“Ma mère me fait toujours rincer les yeux après avoir pleuré pour qu’ils ne
soient pas rouges et gonflés”, lui expliqua‑t‑elle avec douceur, continuant à
lui mouiller les yeux avec le tissu imbibé d’eau.
Lorsque la fillette jugea satisfaisant ce débarbouillage, elle prit un
autre mouchoir, propre et repassé, de son sac, qu’elle déplia et s’en servit
pour lui essuyer délicatement le visage.
Étourdi et content de ces attentions inattendues et reposantes, il se
laissa faire, immobile comme une poupée.
Le vent piquant de l’automne soufflait avec force cet après‑midi mais Lucas
retrouva le sourire, heureux de cette ultime caresse dont le ciel avait daigné
le gratifier.
Rasséréné comme il ne l’était plus depuis des mois, il ouvrit les yeux et
finalement réussit à regarder sa sauveuse en face, cet ouragan qui, avec des
gestes gentils et délicats, s’était transformé à l’instant en légère brise
printanière.
Il la regarda longuement jusqu’à ce que sa mémoire lui rappelle le nom de
la fillette : Kira. C’était la nouvelle de la classe et elle était assise
au troisième rang, derrière lui.
“Tu as un visage curieux”, observa Lucas, parcourant la fillette du regard,
laquelle le dépassait d’une bonne dizaine de centimètres. Même si elle était
mince et plutôt grande, elle avait un visage large et rond qui surmontait ce
corps fluet courbé sous le poids du cartable.
Sa peau était très claire, les joues rougies par le froid, sa petite bouche
en forme de cœur était serrée et tendue par la concentration qu’elle mettait à
replier ses deux mouchoirs
Lucas s’arrêta avec curiosité sur ses lèvres si petites et charnues, se
demandant si elle parvenait à avaler quelque chose de plus gros qu’une miette.
Mais ses yeux, à demi‑fermés et avec un pli en forme d’amande, le
fascinaient davantage. Bien qu’ils fûssent cachés par sa frange noire, droite
et un peu trop longue, il réussit à apercevoir deux yeux marrons éclatants aux
reflets d’un vert sombre qui lui rappelaient les bois de Westurian Lake, là où
son père avait une maison pour l’été et où ils s’étaient rendus pour la
dernière fois deux ans plus tôt.
Avec un mouvement d’ennui, la fillette rejeta d’un souffle sa frange vers
l’arrière et le regarda d’un air vexé.
“Et toi tu es bien court sur pattes pour être un garçon”, répliqua‑t‑elle
en croisant les bras.
S’empêtrant dans les mots, Lucas tenta une explication : “Tu n’as pas
l’air américaine”,.
“Excuse‑moi mais où étais‑tu ce matin lorsque la maîtresse m’a présentée à
la classe ?”
Lucas n’osa pas lui avouer qu’il s’était endormi parce que les
bougonnements d’ivrogne de son père l’avaient tenu éveillé la nuit précédente.
Les mains sur les hanches, dans un geste de défi la fillette prit une
grande inspiration et recommença sa présentation du matin‑même avec l’espoir de
la graver au fer rouge dans le cerveau de son nouveau camarade de classe.
“Je m’appelle Kira Yoshida. J’ai neuf ans. Mon père est japonais et
travaille pour l’armée tandis que ma mère, américaine, est assistante sociale.
Content, Lucas s’exclama : “Voici la raison pour laquelle tu as un
visage bizarre. Tu es japonaise.”
“Je n’ai pas un visage bizarre ! Maman me dit que j’ai les traits du
visage de mon père et que je possède les yeux et le caractère de ma mère. Comme
je disais, je suis moitié japonaise et moitié américaine. Je m’exprime aussi
bien en japonais qu’en anglais et j’ai fréquenté l’école internationale de
Tokyo. Puis on a muté mon père ici pour quatre ans afin d’entraîner les
nouvelles recrues à la surveillance des ambassades américaines dans le monde.
Maman ne voulait pas demeurer seule à Tokyo et c’est pourquoi nous avons
déménagé avec papa même si, en réalité, il n’est pratiquement jamais là. Je
suis plutôt douée à l’école même si je me débrouille mieux dans l’écriture des
idéogrammes japonais qu’avec votre écriture ; mais maman dit que
j’apprends vite et j’ai déjà décidé que, lorsque je serai grande, je serai
assistante sociale moi aussi. Je faisais partie du club de basket à Tokyo bien
qu’en réalité ce sport ne m’ait jamais plu. Je déteste les sports et j’adore
regarder des dessins animés et lire des mangas.”
“Qu’est‑ce que c’est qu’un manga ?”
“Des bandes dessinées”, expliqua Kira que l’ignorance de Lucas contrariait.
“Moi aussi j’aime bien les bandes dessinées !” se réjouit le
garçonnet.
“Alors je t’en prêterai.”
“Vraiment ?” Lucas fut surpris car nul ne voulait avoir à faire avec
lui et encore moins avec son père.
“Pourquoi pas ? Nous sommes amis, n’est‑ce pas ?”
Amis.
Ces paroles firent à Lucas l’effet d’un coup au cœur.
Il n’avait pas d’amis.
Aucun enfant ne s’était jamais approché de lui, de crainte de tomber sur le
puissant et mauvais Darren Scott. Même si tous les parents et les enseignants
étaient intimidés en présence de son père, il avait bien compris que nul ne
serait jamais son ami. Ni maintenant ni jamais.
Et voilà que ce jour l’ouragan Kira était entré dans sa vie. Il ne se
rappelait plus son nom de famille, trop difficile à prononcer.
“Oh mon Dieu Kira ! J’arrive ! Pardon, excuse‑moi !”
s’exclama une femme à bout de souffle qui courait vers eux.
“Maman !”, s’exclama Kira, heureuse, courant vers elle pour
l’embrasser.
Voir une telle scène fit venir les larmes aux yeux de Lucas qui n’avait
jamais joui de l’affection maternelle : lorsqu’elle était encore en vie,
sa mère partageait son existence entre un cocktail et une pilule pour dormir,
quand elle n’était pas agressée par les délires de jalousie de son mari.
“Mon trésor, excuse‑moi si j’arrive en retard ton premier jour de classe
mais j’ai été embauchée ce matin et j’ai dû traiter certaines affaires qu’il
m’a fallu apporter au Tribunal des mineurs avant de venir te rejoindre. J’ai
été prise dans les embouteillages et j’ai fait aussi vite que possible. Excuse‑moi.”
“C’est sans importance, toutefois il faut que nous conduisions Lucas à la
maison. Son père l’a frappé avant de l’abandonner ici”, lui répondit sa fille
avec une sincérité naturelle mais sans pitié qui, telle un gifle, frappa autant
Lucas que sa mère.
“Kira, c’est une accusation grave”, l’avertit sa mère qui passait la
majeure partie de sa vie professionnelle à combattre la maltraitance ou des
problèmes familiaux difficiles à résoudre sans l’aide d’une assistante sociale.
“Tu dois porter plainte contre lui, obtenir un mandat d’arrêt et l’envoyer
derrière les barreaux”, s’échauffa la fillette, répétant dans les moindres
détails ce qu’elle avait entendu la veille à la télévision.
Sa mère comprit : “La prochaine fois évite de regarder Law and
Order avec moi” Puis elle s’appprocha de Lucas : “Et toi tu dois être
Lucas, n’est‑ce pas ? Je m’appelle Elizabeth Madis et je suis la maman de
Kira.”
Lucas acquiesça timidement devant cette femme souriante aux yeux verts, au
regard doux et courageux. Kira avait raison : elle avait les yeux de sa
mère mais, ceci mis à part, elles ne se ressemblaient guère. Les cheveux noirs
de jais et brillants de Kira contrastaient avec ceux ondulés et couleur caramel
de sa mère.
“Kira dit que ton papa t’a frappé. Est‑ce vrai ?” lui demanda‑t‑elle
avec gentillesse.
“Oui c’est vrai. Sa joue était rouge”, s’ingéra Kira, à laquelle sa mère
décocha un regard noir.
“Cela arrive”, chuchota Lucas mal à l’aise. Il n’osait même pas imaginer ce
qu’aurait dit son père s’il était informé de cette conversation.
“Je comprends. Et où est‑il à présent ?”
“À la maison. Il était fâché.”
“Et ta mère ?”
Lucas mit plusieurs secondes pour répondre : “Elle n’est plus là.”
Elizabeth le réconforta immédiatement en lui caressant le visage : “Je
suis désolée mon chéri. Connais‑tu l’adresse de ta maison ? Si tu veux,
nous te raccompagnons. Ma voiture est garée à l’extérieur, devant la grille.”
Lucas sourit avec reconnaissance. Quelqu’un était enfin venu à son secours.
Il regarda encore la femme qui lui parut ressembler à un ange.
“Ce cartable doit être très lourd, Lucas. Donne‑le moi et je vais le poser
sur le siège arrière”, proposa‑t‑elle.
Le petit garçon se retourna et Elizabeth réussit à libérer ses épaules du
cartable. Mais en faisant ainsi, elle tira également la veste et sa chemise
vers le haut.
“Oh, le cartable s’est pris dans tes vêtements. Attends, je vais te
libérer”, mentit Elizabeth qui s’abaissa vers l’enfant, lequel était ignare
d’avoir mis en évidence une longue trace violette qui courait d’un côté à
l’autre de son dos, souvenir des coups de ceinture reçus trois jours
auparavant.
Les yeux à demi‑fermés et les lèvres contractées au point de blanchir,
firent reculer Kira qui savait que cette attitude était l’annonce d’une
réprimande terrible. Mais quand sa mère se redressa, elle était de nouveau
souriante, ce qui confondit sa fille.
Elle s’exclama : “Allons à la maison. Entre temps que diriez‑vous
d’une bonne glace ou d’une part de gâteau au Chocoly ?” Ce qui fit
sauter de joie Kira qui avait connu cet endroit le jour de leur arrivée, quand
sa mère lui avait offert la plus grosse glace du monde, pleine de bonbons et de
biscuits.
Lucas le connaissait aussi mais il n’y avait jamais mis les pieds.
Dès qu’ils furent en voiture, Elizabeth se dirigea vers l’établissement où
elle laissa les enfants se jeter sur les douceurs et se gaver de bonbons,
biscuits, muffins et crème, tandis qu’elle se retirait dans le lieu le plus
discret du bar afin de passer quelques appels téléphoniques urgents, relatifs à
ce qu’elle avait vu sur le dos du petit garçon.
Lucas mangea au point d’exploser sous le regard attendri et souriant
d’Elizabeth qui lui reprochait d’être trop petit et trop maigre pour son âge.
Quand vint l’heure de rentrer, Lucas s’assit à contre‑cœur dans la voiture
et donna l’adresse de son domicile à Elizabeth qui l’inséra dans son GPS, étant
donné qu’elle ne connaissait pas encore les rues de Princeton.
“Et ton père croyait que tu allais faire huit kilomètres à pied tout
seul ?”, s’exclama Elizabeth, passablement irritée par les indications que
lui fournissait le navigateur.
Lucas se tut ; il se demanda si huit kilomètres représentaient quelque
chose de lointain.
Heureusement, Kira était là et parvint à le distraire durant le trajet
jusqu’à son domicile.
Malheureusement lorsque l’énorme villa de son père apparut au travers des
vitres de la voiture, tout sourire disparut de son visage.
Quand le portail s’ouvrit, l’enfant se mit à trembler en se demandant
quelle serait la réaction de son père face à ce qu’il venait de faire.
“Les enfants attendez‑moi ici !” dit Elizabeth. Elle sortit de la
voiture et se dirigea vers la porte d’entrée qui venait de s’ouvrir en grand
pour laisser passer la figure imposante de Darren Scott.
“Monsieur Scott, je présume.”
“Oui. Et vous, qui êtes‑vous ?”
“Je m’appelle Elizabeth Madis. J’ai rencontré votre fils abandonné devant
l’école, en dehors des horaires scolaires normaux. J’ai pris Lucas et je l’ai
reconduit à la maison.”
“Bien, et maintenant allez‑vous en.”
“Non !”
“Non ? Que voulez‑vous ? De l’argent ? Je ne vous ai pas
demandé de le ramener ici ! Il pouvait rentrer à pied en ce qui me
concerne !”
“Mais vous n’avez pas honte ! Il y a près de huit kilomètres !
Comment pouvez‑vous imaginer qu’un enfant de neuf ans effectue une aussi longue
marche à pied, qui plus est tout seul !”
“Et vous, qui êtes‑vous pour vous permettre de me dire ce que je peux et ne
peux pas faire avec mon fils ?”
“Je suis assistante sociale et je vous préviens que tous les éléments pour
vous ôter la garde de votre fils sont réunis : abandon de mineur,
violences physiques et très probablement psychologiques, ensuite votre enfant
semble sous‑alimenté... et cependant je n’ai pas l’impression que vous soyez
dans la misère !”
“Comment osez‑vous venir chez moi pour m’insulter ?” explosa Darren
Scott, se précipitant vers la femme, puis s’arrêtant à quelques centimètres de
son visage.
“Vous êtes ivre”, remarqua Elizabeth à partir des relents d’haleine qui lui
parvenaient au visage.
Il la menaça : “Partez d’ici ou j’appelle la police et je vous fais
perdre votre emploi. Je vous ferai chasser pour toujours de cette ville.”
Inperturbable Elizabeth poursuivit, décidée à remporter la partie :
“Vous ne me faites pas peur. Et sachez que dans les prochains jours vous
subirez un contrôle sanitaire et un de mes collègues viendra vérifier qu’il n’y
a pas d’autre signe de violence sur le corps de Lucas. Autrement je vous envoie
derrière les barreaux, me suis‑je bien faite comprendre ?”
“Sortez de chez moi !” hurla‑t‑il, effrayant Lucas par la même
occasion, lequel prit son cartable et sortit précipitamment de la voiture avant
de courir à l’intérieur de la villa pour que cette dispute prenne fin.
“À bientôt monsieur Scott”, le salua Elizabeth, une nuance de menace dans
la voix, avant de remonter en voiture et de partir.
Après que la voiture fût sortie de l’immense propriété, Darren rentra chez
lui où il trouva son fils effrayé et en larmes.
“Tu as conduit une assistante sociale chez moi, sale bâtard !” explosa
l’homme, furieux contre son fils.
L’enfant murmura faiblement : “Je n’en savais rien”, prêt à en payer
les conséquences.
“Cette pute croit vraiment pouvoir me défier et me menacer... Dans ma ville
qui plus est !? Elle me le paiera ! En ce qui te concerne je ne
pourrai pas te frapper au cours des prochains jours mais tu peux être sûr que
tu paieras pour ce que tu as fait ! Et maintenant file dans ta
chambre ! Tu peux oublier le dîner ce soir, ça t’apprendra à ramener cette
racaille à la maison.”
Lucas ne se le fit pas dire deux fois.
Il fila comme une flèche dans sa chambre, remerciant de tout son cœur Kira
et sa mère pour le goûter gourmand qu’elles lui avaient offert. Son estomac
était encore plein et, avec soulagement, il plongea sous les couvertures,
faisant le vœu que le matin arrive vite.
Il voulait revoir Kira, son amie spéciale, cet ouragan à la bouche en forme
de cœur, aux yeux d’un vert profond, qui venait de révolutionner sa journée et
dont, au fond de lui‑même, il était convaincu qu’elle changerait sa vie.
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