J'ai échappé à mon tortionnaire pour me retrouver dans les bras d'un homme pire encore. Lukyan Vasilyev va me détruire et je ne sais pas comment l'en empêcher.
PROLOGUE: Tessa
“Avec ça nous briserons pour toujours les
chaînes qui te lient aux Rivera et justice sera faite, mon amour”, s'exclama
Matthew, me prenant des mains la clé USB sur laquelle j'avais copié certains
fichiers de l'ordinateur personnel de mon père.
“Est‑ce qu’il finira en prison ?”,
demandai‑je avec une pointe d’anxiété. Ma crainte n'était pas que mon père soit
arrêté mais, au contraire, qu'il s'en tire, comme toujours.
“Avec ces documents, aucun avocat ne pourra
le défendre. Ce sera un rude coup pour la criminalité organisée.”
J'avais envie de lui demander s'il en était
vraiment sûr. À Détroit, trois clans mafieux se disputaient le territoire : les
Portoricains Rivera, les Chinois Chen et les Russes Vasilyev.
Dans une guerre sans merci qui durait
depuis des décennies, les affrontements entre les trois familles étaient à
l'ordre du jour.
Une guerre que je souhaitais voir se
terminer mais, qu’en principe, je devrais poursuivre en tant qu'unique
héritière de Giorgio Rivera, mon père, le chef du clan.
Mon avenir était déjà tout tracé et j'avais
beau essayer de raisonner mon père, il n'y avait aucun moyen de changer cette
situation.
J'avais failli abandonner, écrasée par la
violence que je subissais à chaque fois que je tentais de m’opposer à lui,
jusqu'au jour où je rencontrai Matthew.
Une rencontre qui m'avait valu des coups
plus violents qu’à l’ordinaire. En ce moment, la marque violette de la ceinture
de cuir avec laquelle mon père m'avait frappée se détachait sur mon bras après
qu’il eût découvert que j'étais tombée amoureuse de Matthew, un policier de la Drug
Enforcement Administration.
“Je veux simplement que tout ça se termine
et que nous puissions vivre ensemble pour toujours. Je t'aime, Matthew”,
murmurai‑je en me perdant dans son étreinte chaleureuse.
“Je suis sûr que dans quelques mois, tout
sera fini.”
“Tu me le promets ?”
“Je ferais n'importe quoi pour toi, Tessa.
Je t'aime.”
Nous nous regardâmes. Ses beaux yeux bleus
brillaient sous le soleil et mon cœur se mit à battre de bonheur.
Même si nous étions ensemble depuis moins
d'un an, je sentais que je l'aimais vraiment.
C'était le seul homme aux côtés duquel je
me voyais et avec lequel j’aurais des enfants.
Comme s'il lisait dans mes pensées, il me
sourit amoureusement et m'embrassa avec fougue.
Un baiser qui marquerait bientôt la fin de
notre histoire d’amour.
CHAPITRE PREMIER – TESSA
Un an plus tard.
“Ce soir, je veux que tu restes collée à
Fred Strenghton, me suis‑je bien fait comprendre ?”
“Oui papa”, soupirai‑je avec irritation, ce
qui me valut un autre regard meurtrier.
“Je veux que tu l'épouses, compris ?”
“Je veux me marier aussi mais tu as fait
descendre l'homme que j'aimais, t’en souviens‑tu ?”, répliquai‑je avec
haine.
Pas moyen de s'échapper de la limousine qui
nous emmenait au gala de bienfaisance organisé par le nouveau maire de Détroit.
Aussitôt, une gifle s'abattit sans pitié sur ma joue gauche.
“Tu devrais me remercier, petite garce. Ce
flic voulait juste se servir de toi pour nous mettre dans le pétrin.”
J'aurais voulu réagir et l'insulter mais la
douleur fulgurante sur mon visage bloqua toute tentative de rébellion.
Je serrai la pochette de soie bleue
assortie à ma robe de soirée. Elle contenait tout ce que j'avais pu rassembler
au cours des dix derniers mois, depuis la mort de Matthew.
“Giorgio, s'il te plaît... Pas le visage”,
murmura ma mère en remarquant la marque rouge sur ma peau.
Je ne la regardai même pas tant je la
méprisais. C'était une femme passive qui se cachait derrière son mari et
fermait les yeux sur l'injustice afin de maintenir le train de vie auquel elle
s'était vite habituée et qu'elle chérissait plus que tout au monde. Je n'étais
que la cause de ce mariage réparateur qui lui avait permis de rejoindre le clan
Rivera. Elle ne s'était jamais intéressée à moi en tant que fille et paraissait
supporter ma présence à grand‑peine.
Je ne lui parlais pratiquement plus depuis
des années car j'avais compris que, si j'avais besoin d'aide, elle était la
dernière personne sur qui compter.
J'étais seule, désespérément seule. Et
cette nuit, je prendrais la liberté à laquelle j’avais droit, celle que Matthew
avait essayé de me donner avant de mourir.
“Wilma, dis‑lui quelque chose !”
s'emporta mon père contre sa femme, remarquant mon indifférence à son geste.
“Que veux‑tu que je lui dise ? Je n'ai
même pas réussi à la convaincre de s'habiller avec modération. Elle a presque
vingt‑cinq ans et ne fait toujours pas la différence entre l'élégance et la
ringardise. Tessa, je ne vois vraiment pas pourquoi tu avais besoin de porter
tous ces bracelets. Un seul aurait amplement suffi !”
“Maman, ne m'as‑tu pas toujours dit que les
diamants étaient les meilleurs amis d’une femme ?”, lui répondis‑je avec
un semblant d'adoration, caressant ces bijoux autour de mes bras.
“Bien sûr, ma chérie”, répondit‑elle, mal à
l'aise. "Mais voilà, tu n'as jamais montré aucun intérêt pour les bijoux
alors que ces derniers temps tu nous as fait dépenser une fortune chez
Cartier.”
“Je suis amoureuse de ce magasin. Je
n'avais jamais réalisé à quel point leurs bijoux étaient beaux. D'ailleurs, la
vendeuse dit qu'ils me mettent en valeur”, soupirai‑je, extatique, caressant
les deux colliers d'or et de saphir que je portais autour du cou, assortis aux
trois bagues qui se détachaient sur les doigts de ma main droite. Sans parler
des cinq autres bagues, encore plus chères, dissimulées dans ma pochette.
“Il n'y a rien de mal à dépenser de
l'argent pour des diamants. C'est une femme et je suis convaincu que tu ne
déplairas pas à Fred Strenghton”, intervint mon père pour interrompre cette
conversation. “Cependant, modère‑toi Tessa ou tu vas me mettre sur la paille.”
“Oui papa”, répondis‑je, feignant le
déplaisir, tout en continuant à caresser ces pierres précieuses qui me
permettraient bientôt d'obtenir ce que je voulais.
Quelques minutes plus tard, la voiture
s'engagea sur le boulevard Washington avant de s'arrêter devant le Windsor’s
Hotel où un gala de bienfaisance avait été organisé pour la construction
d'un nouvel hôpital à Haïti. En réalité, il s'agissait d'une réunion masquée où
les puissants se rencontraient pour décider du sort de la ville.
J'étais écœurée par tous ces faux‑semblants.
J'avais l'impression d'être devant un feu de joie d'hypocrisie où tous les
mafieux des clans Rivera, Vasilyev et Chen se rencontraient dans le même lieu,
faisant semblant de s'entendre devant les caméras des journalistes qui
assiégeaient l'entrée de l'hôtel.
Lorsque le chauffeur vint nous ouvrir la
porte, je crispai les muscles de mon visage afin d’afficher un sourire à trente‑deux
dents, si forcé que deux fossettes se formèrent au niveau de mes joues.
C'était mon sourire de circonstance, aussi
faux que ce monde de paillettes derrière lequel se cachaient corruption,
meurtres, trafic de drogue à un niveau si élevé qu'il avait touché
Matthew : il avait fait confiance à la mauvaise personne dans son service
lorsqu'il avait dénoncé mon père et apporté les preuves qui l’accablaient.
En m’efforçant de ne pas trébucher sur ma
longue robe, je sortis de la voiture pour me diriger vers l'entrée avec mes
parents.
Serrée dans mon manteau doublé de fourrure
d'hermine blanche, j’emboîtai le pas à mon père sans prêter attention aux
journalistes.
Nous montrâmes nos invitations avant de
nous diriger vers le vestiaire où la préposée prit nos manteaux.
Je gardai la pochette avec moi ; je
respirai un grand coup en pénétrant dans la salle que j'avais longuement
étudiée au cours du mois précédent, depuis que ma famille avait reçu une
invitation pour assister à ce gala.
Je savais que ma mère ne me quitterait pas
des yeux et que mon père ne me laisserait pas partir seule, mais j'avais tout
calculé avec soin.
J'essayai de calmer mon angoisse. Si
quelque chose devait mal tourner, je n’en sortirais probablement pas vivante.
Je pris une coupe de champagne avant de
suivre fidèlement ma mère qui avait rapidement trouvé quelqu'un avec qui
bavarder. Je ne prêtai aucune attention à la conversation mais mon sourire
restait figé, apaisant mes parents.
Il avait fallu six mois pour que je puisse
à nouveau assister à ces événements mondains après ce qui s'était passé avec
Matthew.
La laisse autour de mon cou s’était
resserrée, au point de m’empêcher de respirer, mais j'avais survécu et trouvé
une nouvelle raison de vivre : être libre. Pour de bon cette fois.
J'avalai une petite gorgée de champagne. Il
était impératif que je demeure sobre et lucide. Et puis, je ne pouvais pas
risquer de me faire mal à l'estomac puisque je n'avais pas emporté mes
médicaments.
“Tessa, quel plaisir de te voir !” La
voix de Fred Strenghton me perça les oreilles. Je détestais cet homme et encore
plus mon père qui voulait me donner à lui en échange de certaines faveurs.
Je me retournai en faisant semblant d’être
ravie de le voir.
Avec quelque difficulté, mon sourire
s’élargit à la limite de l’étirement excessif des muscles faciaux.
“Fred !” m’écriai‑je d’une voix
enjouée, m’approchant pour lui faire la bise. Il en profita pour me serrer dans
ses bras et je le laissai faire. J'avais besoin de cet homme pour m'éloigner de
ma mère.
“Tu es ravissante !”
“Tu n'es pas mal non plus avec...”,
m’apprêtais‑je à dire, mais je ne pus finir ma phrase. Fred n'était pas un
homme désagréable, bien qu’il fût beaucoup plus grand que moi. Il avait près de
quarante ans, d'épais cheveux bruns légèrement grisonnants sur les tempes et des yeux verts qui se détachaient
au milieu de son visage barbu, enfin sa carrière politique était en pleine
ascension. Même ses manières n'étaient jamais répréhensibles ni agaçantes.
Cependant, il était si visqueux et condescendant avec mon père qu’il
m’écœurait. “Avec n'importe quoi”, conclus‑je avec un soupir d'amoureuse.
Fred rougit et j'en profitai pour me
détacher de ma mère en m'agrippant à son bras.
“Je n'aime pas être ici. Je ne connais
personne, sais‑tu ?”, lui murmurai‑je à l’oreille.
“Si tu veux, je vais te présenter du
monde.”
“Volontiers.”
“Madame Rivera, puis‑je enlever votre fille
pendant quelques minutes ?” demanda Fred à ma mère qui m’observait avec
circonspection. Elle ne savait jamais avec moi si elle pouvait me faire
confiance mais elle n'avait pas le courage de me refuser à l'homme qui avait le
pouvoir de bloquer les nouvelles constructions dans Greektown.
“Bien sûr cher ami.”
Dissimulant un soupir de soulagement, je
serrai le bras de mon nouveau cavalier, le laissant me piloter dans l'immense
hall où il me présenta à de nombreuses personnes.
Nous passâmes près d'une heure à bavarder
avec les invités. On allait bientôt nous faire asseoir pour écouter le discours
du nouveau maire ; je devais me hâter.
Lorsque je vis un homme obèse s'approcher
pour s’entretenir avec quelqu'un derrière moi, je saisis la balle au bond.
Sans me faire remarquer, je me détachai de
Fred et m’approchai nonchalamment de l'homme.
Je serrai ma coupe de champagne, la tenant
devant moi, légèrement à gauche.
À quelques centimètres de l’homme, je
sursautai, comme si je réalisais que j'allais heurter quelqu'un. Je m’écartai
vers la droite, pas suffisamment toutefois et nos bras se heurtèrent. D'un
geste fulgurant je glissai la coupe entre nous deux et le champagne se renversa
sur mon bras gauche dénudé et sur la manche droite de sa veste élégante. Le
reste finit par terre.
Je me confondis en excuses : “Oh mon
Dieu ! Je ne sais pas comment m'excuser ! Je suis vraiment
navrée...”, tandis que l'homme essayait de comprendre ce qui venait d’arriver.
“Ce n'est rien... rien que le teinturier ne
puisse nettoyer.”
“Tessa, tu vas bien ?”, intervint
rapidement Fred, passant son bras autour de ma taille.
“Il s’est produit un désastre. Le champagne
s'est renversé sur moi”, expliquai‑je désolée, lui montrant mon bras mouillé.
“S'il te plaît, accompagne‑moi. J'ai besoin de faire un brin de toilette.”
“Certainement.”
En bon gentleman, il m'accompagna aux
toilettes et m'attendit derrière la porte.
Je passai mon bras sous l'eau courante et
m’essuyai soigneusement.
Je regardai mon visage dans le miroir.
J'étais très tendue.
“Tessa, tu t'en sors bien. Cela fait
presque un an que tu prépares ce moment. Tu ne peux pas échouer”, dis‑je,
m’adressant à mon reflet.
Je sortis calmement et je vis que Fred
m’attendait toujours.
Il fallait absolument que je me débarrasse
de lui.
“Fred, s'il te plaît, peux‑tu demander au
serveur quelque chose pour faire partir le champagne ? Le vin a taché mon
corset. Je ne voudrais pas devoir quitter la fête plus tôt que prévu à cause
d'une tache.”
Je savais que lui aussi ne souhaitait pas
me voir quitter le gala le jour où je me montrais si complaisante et si
disponible à son égard.
Il répondit avec empressement : “Je
m’en occupe”, et héla un serveur qui portait un plateau chargé de petits fours
au caviar.
Je profitai de cet instant de distraction
pour quitter les toilettes et me précipiter en direction des cuisines.
Je parcourus tout le couloir en essayant de
marcher sur la pointe des chaussures pour ne pas faire claquer les talons.
Je tournai l’angle. Je regardai derrière
moi. Fred était occupé avec un autre invité et n'avait pas remarqué ma
disparition.
Je poursuivis ma course. Me remémorant le
plan de l'hôtel, je tournai à droite deux fois encore pour aboutir dans les
cuisines. Il y avait beaucoup d'animation. Les cuisiniers étaient occupés. On
voulut me faire sortir.
“Je dois sortir par l'arrière”, dis‑je
d'une voix péremptoire qui n'admettait pas de réplique.
Un serveur m'indiqua une porte au fond des
cuisines.
J’allais sortir lorsque je me rappelai du
téléphone portable dans ma pochette.
Je le pris et le jetai immédiatement dans
la première poubelle venue.
Avec ce geste je venais de dire adieu à
toute possibilité de revenir sur mes pas ou solliciter une aide quelconque.
À présent j'étais vraiment seule.
Terriblement seule, mais aussi heureusement
introuvable.
Je franchis la porte et l’air frais de
l’automne me fit frissonner.
J'aurais aimé avoir mon manteau sur le dos
mais retourner au vestiaire aurait été trop risqué.
J’étudiai les environs : je me
trouvais dans une allée à l'est du bâtiment.
Je courus jusqu'au boulevard Washington.
Sur ma droite, quelques paparazzis
faisaient le pied de grue devant l'entrée de l'hôtel et personne ne fit
attention à moi.
Tout en m’efforçant de paraître calme, je
ralentis puis me dirigeai vers la gauche.
Je marchais lentement, discrètement, mais
suffisamment vite pour m'éloigner de l'hôtel, où Fred se rendrait bientôt
compte de ma disparition et préviendrait mon père.
Sans téléphone portable je ne pouvais pas
appeler un taxi ou un uber.
J'aurais dû y penser avant de jeter mon
téléphone mais j'avais trop peur que mon père ne le récupère et parvienne à
suivre mes mouvements.
L'objectif était de ne pas lui permettre de
comprendre mes prochains déplacements.
Avec une angoisse croissante je me rendis
compte qu'aucune voiture jaune ne croisait dans les parages.
Comment se faisait‑il qu'il n'y eût aucun taxi
à proximité ? C'était absurde !
Je marchais à pas rapides sur le trottoir,
anxieuse, cherchant désespérément un de ces fichus taxis, quand je vis une
Ferrari SF90 Stradale, noir mat, se garer à deux cents mètres de moi.
Je ralentis l’allure tandis que mon esprit
courait à cent à l’heure pour trouver une solution.
Lorsque j'aperçus le propriétaire sortir de
sa voiture, j'eus un sursaut d’effroi.
C'était Lukyan Vasilyev, du clan
Vasilyev !
Bien que je ne l'eusse jamais rencontré
personnellement, je savais qui il était.
J'avais souvent entendu mon père en parler
et des photos de lui paraissaient parfois sur les magazines à potins ou dans la
rubrique des faits divers criminels.
Même si son père était toujours le chef du
clan, beaucoup affirmaient que le cerveau des actions les plus réussies était
Lukyan, son second fils.
Lukyan Vasilyev, Russe élevé en Amérique,
était désormais connu sous le nom de Luke Vasilyev. Son nom, comme son accent
russe, avait été remplacé par une version plus américaine, contrairement à son
frère jumeau Aleksej, qui était resté attaché à la Sainte Mère Russie et avait
quitté le clan de son père pour voler de ses propres ailes.
Trente‑cinq ans, un mètre quatre‑vingt‑dix,
un corps d’athlète, des cheveux et des yeux noirs.
Ce qui m'avait toujours surpris était que
son nom signifiait lumière alors que son apparence était totalement dépourvue
de lumière : il aurait dû s'appeler Ténèbres.
Luke avait beau être l’homme classique de
belle apparence, suffisamment riche pour s'offrir une Ferrari et des costumes
de haute coupe, presque toujours noirs, qui mettaient en valeur son physique,
il suffisait de se perdre dans son regard pour se rendre compte qu'il n'était
pas un homme ordinaire. Son attitude contrôlée et précise n'exprimait pas le
calme mais la maîtrise absolue de soi.
Le feu noir de ses yeux consumait l'oxygène
autour de lui, laissant ses interlocuteurs le souffle court et, surtout, sans
aucune chance de sortir indemne de cette rencontre.
Il était un de ces individus dont émane une
aura de danger qui vous colle à la peau même après un certain temps. C’était
comme si son regard, après s’être posé sur vous, vous marquait au fer rouge
pour vous rappeler toujours sa présence ; et de quelle façon il lui était
possible d’entrer dans votre vie et la chambouler pour toujours.
Si j'avais été une personne ordinaire,
j'aurais tourné les talons et fait demi‑tour ou traversé la rue avant que son
regard ne se pose sur moi ; mais des années de coups et de menaces de la
part de mon père m'avaient suffisamment endurcie pour que je puisse affronter
un tel danger et survivre.
Sans me faire remarquer, je le vis ouvrir
la portière du côté passager : le siège était occupé par un beau mannequin
que j'avais vu lors d'un défilé de mode à New York deux années auparavant.
Luke lui tendit le bras et tous deux se
dirigèrent dans ma direction. Vers l'hôtel situé derrière moi.
Je vis sa main pointer en direction la
Ferrari et appuyer sur le bouton de la télécommande pour fermer le véhicule.
Puis il glissa l'objet dans la poche de son
manteau, du côté libre.
Ces derniers mois j'avais également étudié
et pratiqué le vol à la tire. Sheyla, mon mentor, m'avait appris toutes les
ficelles du métier. C'était aussi grâce à elle que j'étais en train de
m'échapper ce jour‑là.
La partenaire de Luke se tenait à son bras
droit, alors je me déplaçai vers le côté opposé du trottoir.
J'étais tendue et j'avais une peur bleue.
Voler les clés de voiture d'un des chefs du clan Vasilyev n'était pas ce que
j'avais prévu mais je n'avais pas le choix. L'heure avançait et j'étais
toujours à proximité de l'hôtel. Mon père me retrouverait en très peu de temps.
Mon cœur battait si fort que ma cage
thoracique me faisait mal.
Je respirai l'air glacé. Il faisait
vraiment froid et, pendant un instant, je pensai à l’habitacle chauffé de la
Ferrari. Oui, il fallait que j’emprunte cette voiture à tout prix !
J’accélérai le pas.
Alors que je n’étais qu’à un mètre de lui,
je retins ma respiration.
J'ouvris ma pochette en faisant semblant de
chercher quelque chose.
Au dernier moment, je me dirigeai vers la
gauche, entrant en collision avec Luke.
Je glissai rapidement ma main dans sa poche
et m’emparai de la télécommande, tandis que mon corps s'affaissait un instant
contre l'homme qui s'empressa de me soutenir en m'entourant la taille.
Ce contact me fit tourner la tête. J'avais
l'impression de me retrouver au centre d'un tourbillon.
Je glissai la clé dans ma pochette que je
refermai d'un coup sec. Puis, aussi rapidement, je tressaillis.
“Excusez-moi, j'ai dû trébucher... Je suis
désolée”, mentis‑je effrontément tout en feignant d'être inquiète et confuse
pour ce qui venait de se passer.
“Vraiment ?” Son ton moqueur me
réveilla. De toute évidence il ne me croyait pas.
Je le regardai et je compris que j’avais
commis une grave erreur.
Ses yeux noirs étaient capables de vous
aspirer l'âme.
Je reculai d’un pas, décidée à m'éloigner
de lui au plus vite, quand je réalisai qu’il avait toujours sa main sur moi.
Je la repoussai avec irritation.
“Je me suis excusée, je n'ai pas à me
justifier.”
“Non, mais faire semblant de me tomber
dessus, si.”
“Faire semblant ?!”, répétai‑je,
partant d’un éclat de rire tonitruant et bien construit. “Monsieur Vasilyev, je
n'ai pas de temps à perdre. Passez une bonne soirée.”
“Une bonne soirée à vous aussi Mademoiselle
Rivera.”
Je n'aurais pas dû être surprise qu'il me
connaisse mais je ne pus dissimuler la terreur que je ressentis. L'idée qu'il
entre dans l'hôtel et aille voir mon père pour lui conter l’incident me
refroidit.
Ma peur devait être évidente car l'attitude
de Luke changea du tout au tout et se fit soudain sérieuse.
J'étais sur le point de le supplier de ne
rien dire à mon père quand sa compagne intervint.
“Luke, il est tard. On y va ?”
Il était tard. Oui, trop tard et je ne
pouvais plus perdre de temps.
Je fis un bref signe de tête et partis,
m’éloignant de ce regard qui me transperçait le dos. Je dépassai la Ferrari.
Après quelques minutes je ralentis et me
retournai. Luke et le mannequin entraient dans le bâtiment et les journalistes
les photographiaient.
Je profitai de cette animation pour faire
demi‑tour.
À la hauteur de la voiture, je l’ouvris
avec la télécommande.
Au bruit qu'elle émit, les cheveux se
dressèrent sur ma tête.
Je regardai autour de moi.
Personne ne regardait dans ma direction.
J'ouvris la portière et montai à bord.
Avec angoisse j'appuyai sur le démarreur.
Je manquai de m’évanouir au rugissement du
moteur qui s’ensuivit.
J’aurais mieux fait d’emprunter une voiture
électrique : j'aurais ainsi pu fuir bien plus silencieusement.
Je regardai en direction de l'hôtel. Luke
était déjà à l'intérieur.
Je comptai jusqu'à cinq, puis je partis.
Les mains tremblantes, je me faufilai
jusqu’à la sortie du parking.
Il était évident que si j'abîmais cette
voiture, la colère de Luke serait décuplée, alors je conduisis prudemment.
Ce n'est qu’en quittant le boulevard
Washington que je me détendis.
Cette Ferrari était prodigieusement rapide.
Personne ne pourrait plus m'arrêter.
Je saisis la destination de l'aéroport de Detroit‑Metropolitan
Wayne County sur le navigateur.
Une demi‑heure après mon départ je réalisai
que ma disparition avait déjà été rendue publique.
Les recherches allaient bientôt commencer.
Heureusement que je n'avais plus de
téléphone portable sur moi : je ne serai pas facile à géolocaliser.
De plus j'étais dans une voiture volée et
mon père savait que je ne pourrais pas m'enfuir bien loin sans argent. Il
suffisait d'attendre que j'utilise ma carte de crédit pour savoir où je me
trouvais.
Bien sûr, il y avait aussi une inconnue à
propos de Luke Vasilyev, bien que mon intention ne fût pas de lui dérober sa
voiture. Je l’avais seulement empruntée et je m'assurerais qu'il la récupère au
plus vite.
J'appuyai davantage sur l'accélérateur.
Mon cœur battait à tout rompre. Je dépassai
camions, voitures et autres véhicules, espérant arriver aussi rapidement
possible à l'aéroport.
Je priai l’amour de ma vie : “Je t'en
supplie, Matthew, aide‑moi.” Cela faisait près d’un an qu'il était mort et je
sentais que son souvenir s'estompait ; mais j'avais commencé à m’adresser
mentalement à lui à chaque fois que je ressentais de la peur ou que l'idée
d’abandonner m'envahissait.
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