CHAPITRE 2: Luke
Ce jour-là je n'eus aucune
visite et, lentement, je pus de nouveau émerger de la torpeur et de cette
douleur qui ne me donnait pas de trêve, que je respire ou que mon cœur batte.
C'était comme si la trahison
de Tessa s'était gravée au fer rouge dans mon cœur, ce que me rappelait chaque
battement.
C'était une torture sans fin.
À plusieurs reprises, je
tentai de secouer mon cerveau et mes souvenirs ; mais je ne me rappelais de
pratiquement rien.
« Je ne me rappelle pas. » fut
la seule réponse que je pus fournir à un policier venu me rendre visite dès
qu'il fut informé de l'amélioration de mon état.
Mon père était également
présent et ne dit rien au cours de l'entretien.
Son regard noir et
impénétrable était devenu semblable à du granit tandis qu'il écoutait mes
réponses aux mille et une questions du policier.
« Votre femme nous a déclaré
qu'un homme s'était introduit à votre domicile. Vous étiez dans la salle de
bain. Puis vous êtes revenu dans la chambre et vous avez surpris l'intrus qui
vous a tiré dessus avec votre arme. Vous en rappelez-vous ? », me demanda le
policier pour la enième fois.
Je dus réprimer un mouvement
de colère pour ne pas crier. Entendre les gens mentionner Tessa comme ma femme,
tout en repensant aux mensonges dont elle m'avait abreuvé pour s'en sortir, ne
faisaient qu'accélérer ma respiration et mon rythme cardiaque, précisément à
l'endroit où Tessa avait logé une balle.
Chaque minute de mon existence
était rythmée par le souvenir insoutenable de sa trahison et de ma faiblesse.
« Votre femme a disparu.
Avez-vous une idée d'où elle se trouve ? »
Loin de moi. Loin de ma
vengeance folle qui, bientôt, s'abattra sur elle.
« Non. »
« Croyez-vous que votre femme
puisse être en danger ? Ou de mèche avec celui qui vous a presque tué ? »
« Je n'en sais rien. »
À la fin, lassé de mes
réponses laconiques et évasives, le policier s'en alla.
Restés seuls, mon père
s'approcha calmement de moi.
« Je n'ai qu'une seule
question à te poser et évite de me mentir comme tu viens de faire avec le
policier. » Le calme glacial qui emanait de la voix de mon père aurait donné la
chair de poule à quiconque, sauf à moi. « C'est Tessa Rivera qui t'a tiré dessus
? »
Entendre ces mots fut un
attentat contre ma santé mentale mais je m'efforçai de rester immobile, même si
j'aurais voulu tout fracasser dans la pièce.
« Oui », répondis-je d'une
voix atone.
« Je le savais. Je t'avais
prévenu de ne pas l'épouser. Les coïncidences n'existent pas dans notre univers
; maintenant j'espère que tu en tireras la leçon. »
Je me tus. Il était déjà
difficile de maîtriser la douleur cuisante qui me creusait la poitrine et
déchirait mon âme.
« Je lui ferai regretter
d'être née. Quand je lui mettrai la main dessus... », s'écria mon père en proie
à une rage folle.
Je me surpris à dire : « Je
croyais qu'elle était avec toi. » Je n'avais plus été en mesure de parler à mon
père mais j'étais convaincu que, après ce qui m'était arrivé, il la détînt
quelque part.
« Elle s'est enfuie, Lukyan »,
me répondit-il d'une voix chargée de culpabilité, ce qui me retourna l'estomac.
Tessa avait disparu ! « Mais nous la retrouverons et... »
« Non, c'est moi qui la
retrouverai », décrétai-je, maîtrisant pour la première fois cette douleur à la
poitrine, là où la balle m'avait touché. Désormais, la vengeance sera mon
unique bouée de sauvetage.
« Lukyan, tu es alité et tu
n'es même pas en mesure de te lever. Tu ne le sais pas, mais l'attentat dont tu
as été la victime n'est pas le seul moment pénible que j'ai vécu cette semaine.
»
« Qu'est-il arrivé d'autre ? »
« Ivan est mort. »
« Quoi ?! »
« Te souviens-tu de cette
attaque du chargement des Rivera à Wyandotte qu'Ivan projetait ? »
« Oui, dans trois jours
n'est-ce pas ? Comme je l'ai déjà dit, c'est une très mauvaise idée. »
Mon père me regarda,
désorienté et bouleversé.
Il s'approcha craintivement. «
L’attaque a eu lieu il y a quatre jours. Tu es resté dans le coma pendant sept
jours et... »
Ce fut à mon tour d'être
abasourdi. Pendant tout ce temps j'avais séjourné dans un lit d'hopital ; à
l'heure qu'il était, Tessa pouvait être bien loin.
Je repensai brièvement à cette
conversation pendant le dîner chez mon père et aux piques dirigées par mon
cousin contre elle.
J'avais pu éteindre la dispute
à ses débuts ; mais ensuite, sur le chemin du retour, il s'était passé quelque
chose...
Mes souvenirs étaient flous et
imprécis mais l’image de Tessa qui se fâchait commença à prendre forme dans mon
cerveau.
« Tu as fait une erreur en
m'épousant. » La voix de Tessa résonnait clairement dans ma tête.
Tout à coup, une violente
migraine me déconnecta de ces souvenirs ; mais la colère et l’inquiétude que
j'avais éprouvées ce soir-là m'envahirent jusqu'à la moëlle des os.
Tessa semblait regretter de
m'avoir épousé et nous étions en train de nous disputer. Je pouvais encore
ressentir le goût âcre et brûlant de la peur que j'avais éprouvée à la pensée
qu'elle pût vraiment me quitter.
Pourquoi ? Pour quelle raison
Tessa semblait-elle regretter et être effrayée de notre mariage ?
Je ne m'en souvenais pas.
« Ivan. » fut la seule chose
dont je me rappelai. « Tessa croyait qu'Ivan voulait me faire du mal. »
« Des conneries ! Elle t'a
raconté tout un tas de salades pour dissimuler ce qu'elle était en train de
mijoter : à savoir te descendre. Heureusement qu'elle n'a pas une visée
exceptionnelle, autrement tu ne serais plus de ce monde. »
J'aurais voulu répliquer que
Tessa avait une visée de tireur d'élite mais une nouvelle vague de terreur
s'infiltra dans mon corps, s'insinuant le long de ma colonne vertébrale.
Tessa, pourquoi m'as-tu
laissé en vie ?
Je hurlai de douleur,
incapable de faire la distinction entre la souffrance physique et celle au fond
de mon cœur. La pensée que Tessa m'ait sciemment laissé en vie, consciente de
me précipiter en enfer, était pire que la pire des morts qu'on pût souhaiter à
son ennemi mortel.
Je priai pour que Tessa ait
vraiment raté sa cible, autrement je ne saurais jamais comment reprendre à
vivre.
Je me tordis de douleur, je
haletais, et mon père appela une infirmière qui m'administra à l'instant-même
un sédatif tellement puissant qu'il m'obscurcit l'esprit et le corps.
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